“Ça fait peur”, raconte Frédérique*, une enseignante avec 20 ans d’expérience à la crèche de l’école.
À son école de la Mauricie, le manque de personnel est tel qu’à chaque heure du midi, elle est seule à s’occuper de deux groupes d’enfants de 4 ou 5 ans.
Les jeunes sont répartis en deux classes. Quand ils sont avec un groupe, aucun adulte n’est là pour surveiller l’autre, dit-elle.
“A cet âge, j’en ai qui ne sont même pas propres […] Certaines personnes ne savent pas comment ouvrir leur boîte à lunch […] En ce début d’année comme ça, je ne peux pas dire que ce n’est pas le bordel”, confie-t-il.
Les pénuries de personnel sont évidentes partout dans les écoles du Québec. Cependant, selon plusieurs intervenants interrogés, la situation est plus grave dans les services de garde.
Par exemple, au Centre de services scolaire (CSS) du Chemin-du-Roy, au coin de Trois-Rivières, il y avait encore 51 personnes en garderie en date de lundi. Au CSS de Montréal, 92.
Gonflé
Selon la loi sur l’éducation, les ratios des jardins d’enfants ne doivent pas dépasser 20 élèves par adulte.
Mais régulièrement, ces ratios sont gonflés pour éviter les pannes de service, observe Annie Charland, présidente du secteur scolaire à la Fédération des employés de la fonction publique (FEESP-CSN).
« Imaginez si nous avions des pauses de service. Chaque personne absente serait 20 élèves sans garderie.
Les éducateurs doivent donc être comme des « pieuvres », image Mme Charland.
“Ce sont censés être des activités éducatives, mais nous oublions cela : ce ne sont que de la surveillance.”
« L’aide aux devoirs, on ne peut pas [d’offrir le service]dit Denis*, directeur d’école à Québec.
Cette semaine, il lui manque six adultes sur les 12 dont il a besoin.
“La conséquence est l’épuisement du personnel. Déjà là, on le sent”, a-t-il déclaré, deux semaines après la rentrée.
Sécurité
Certains craignent même pour la sécurité des jeunes, comme Sylvie*, technicienne en garderie de la Rive-Sud de Montréal.
Cela nous rappelle que dans une journée, certains enfants passent plus de temps à la garderie qu’avec leur éducatrice.
“Tu sais, quand tu es seul avec 27 élèves de première année…” commence-t-il.
Elle aurait aimé s’exprimer longuement au magazine hier, mais il lui manquait trois professeurs sur les 12 qui composent le service qu’elle dirige.
Il n’y a pas d’option pour elle de prendre la parole elle-même pour s’occuper d’une équipe.
- Noms fantastiques. Les personnes interrogées ont préféré rester anonymes pour éviter les représailles de leur CSS.
“Hayspit” se lance dans un projet prometteur
Un programme pilote qui devait permettre d’embaucher plus d’enseignantes de maternelle et de soulager les enseignants fait une entrée “chaotique” dans les écoles.
« C’est un câble métallique. Tout le monde fait n’importe quoi de toute façon », explique Annie Charland de la FEEPS-CSN à propos du programme pilote d’aide en classe.
Dès cet automne, le personnel scolaire, dont plusieurs enseignantes de maternelle, pourra soutenir les enseignants d’une centaine d’écoles du Québec.
Bonne idée
Ce travail était perçu comme prometteur, car si les éducatrices maternelles sont si rares, c’est surtout parce que leurs horaires de coupure sont peu attractifs.
Par exemple, un enseignant peut travailler à partir de 6h45. à 9 h, après midi et après 15 h. jusqu’à 18h Ensuite, il pourrait passer 11 heures à l’école et n’être payé que pour 6 heures de travail ou même faire des voyages chez lui non désirés.
«Mais il y a tellement de choses à faire dans les écoles», s’exclame Réjeanne Brodeur, de l’Association québécoise de la garde scolaire.
C’est donc un peu déraisonnable d’envoyer des professeurs à domicile qui pourraient surveiller la récréation, accompagner les élèves ayant des besoins particuliers en classe, aider au secrétariat ou à la bibliothèque, précise Mme Brodeur.
D’autant que, pendant cette période, les enseignants se plaignent d’être débordés par des tâches annexes qui n’ont rien à voir avec l’enseignement.
biseau
Cependant, pour l’instant, la mise en œuvre du projet pilote n’est pas bien cadrée, notent plusieurs intervenants.
Certains enseignants se voient proposer d’ajouter des créneaux d’aide en classe qui ne font que multiplier les écarts dans leur horaire plutôt que de leur offrir une journée de travail continue, précise Mme Brodeur.
Quelles tâches peuvent être exigées des assistants d’enseignement? Quelles sont les limites de chaque rôle ? Qui sont les chercheurs qui pilotent le programme pilote et quel est leur protocole de recherche ?, s’interroge Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome d’éducation.
“Nous attendons toujours les réponses du ministère. On a l’impression que ce sera à géométrie variable d’un endroit à l’autre”, craint Mme Hubert.
Au moment de la publication, le ministère de l’Éducation n’avait pas répondu à nos questions.
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