Posté à 7h30
                Simon Drouin La Presse             

Elle s’apprêtait à faire son premier retour en personne à son baccalauréat en gestion et design de la mode à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qu’elle a commencé à distance pendant la pandémie. «Je suis plus stressé d’aller à l’école que d’être au sommet d’un parcours olympique. N’a pas de sens! », s’amuse la jeune trentenaire, qui s’inquiétait notamment de ne pas pouvoir marier toutes ses passions avec des études universitaires à temps plein. Pas étonnant que cette “grande rêveuse” tire un trait sur sa carrière de skieuse acrobatique spécialisée dans les bosses. Elle en a fait l’annonce officielle dans une lettre très personnelle publiée mercredi matin sur le site de Radio-Canada. « Ça vient de ma petite voix intérieure, celle que j’ai toujours eue. J’ai pleuré en l’écrivant et j’ai pleuré en le lisant aux gens autour de moi, d’abord mes parents. En même temps, c’était une très belle conclusion. » Au lendemain de sa neuvième place aux Jeux olympiques de Pékin, le 6 février 2022, Dufour-Lapointe était dans un avion pour rentrer au Canada, comme l’exige la réglementation sanitaire chinoise. Elle a rejoint sa famille aux Bahamas pour célébrer ses quatrièmes et derniers Jeux olympiques. Le mois suivant, elle participe à sa dernière Coupe du monde, à Megève, dans les Alpes françaises. Devant son petit ami, qui l’accompagnait pour la première fois à des compétitions en Europe, elle a commencé par “l’esprit [s]”Amusez-vous et faites le tour.” S’alignant pour les 141e et 142e fois dans une épreuve du circuit, il a égalé un record canadien de ski acrobatique. Elle s’est donné l’été pour revenir sur sa longue carrière jalonnée de 27 podiums, dont deux victoires en Coupe du monde, une boule de cristal, un titre mondial et, bien sûr, une médaille d’argent aux JO de Sotchi, où elle a fait la planète avant de s’élancer vers sur le podium, main dans la main avec sa sœur cadette Justine, médaillée d’or olympique. Cependant, son meilleur souvenir est le podium qu’il a partagé avec Justine et sa sœur aînée Maxime lors de la Coupe du monde de Val-Saint-Côme le 23 janvier 2016. PHOTO BERNARD BRAULT, DOSSIER DE PRESSE Les sœurs Chloé, Justine et Maxime Dufour-Lapointe à la Coupe du monde de Val-Saint-Côme 2016 “Ce jour-là, nous savions que c’était possible. Nous ne parlions pas, mais l’énergie était là. C’était très important pour eux trois. »

“J’ai d’autres défis”

À 30 ans, Chloé Dufour-Lapointe a consacré les deux tiers de sa vie à son sport et l’autre moitié au plus haut niveau. Même s’il a des “plans A, B, C, D” pour la suite, il ne tourne pas une page sans ressentir des “piqûres”. « La retraite n’est jamais facile, surtout pas à 30 ans. En même temps, j’étais prêt. J’aimais toujours le freeski, j’en étais passionné, mais j’étais là dans ma vie. J’ai d’autres défis. J’ai aussi hâte de voyager moins. J’aime toujours voyager, mais peut-être moins intensément ! « À 30 ans, c’est plus dur pour le corps. Ça reste un sport extrême, à impact, et il y a des risques dans tout ça. Quand tu seras grand, tu calculeras un peu plus, tu seras moins téméraire. » Malgré ces 15 saisons en Coupe du monde, le Montréalais n’a jamais subi de blessures graves, à l’exception d’une commotion cérébrale à l’hiver 2020. « Il n’y a rien qui me dérange dans mon quotidien. C’est vraiment une grande fierté d’être en bonne santé. Mes parents nous avaient trouvé un [préparateur physique] qui nous a toujours aidés à prévenir les blessures. C’était une des clés de notre succès. » Sans avoir le talent inné de sa petite soeur, Chloé s’est démarquée par sa précocité et sa persévérance jusqu’au bout. Elle venait de terminer sa cinquième année lorsqu’elle s’est classée cinquième aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010. Sa joie et ses yeux pétillants ont touché une corde sensible à l’époque. “C’était la naïveté de la jeunesse, le plaisir de l’effort. » L’hiver suivant, elle remporte l’argent en double aux Championnats du monde sur le parcours exigeant de Deer Valley, s’inclinant en finale face à son idole Jennifer Heil. Elle avait rendu service à sa compatriote en battant sa grande rivale américaine Hannah Kearney, championne olympique en simple. PHOTO DOMINIQUE GRAVEL, LA PRESSE Chloé Dufour-Lapointe Deux ans plus tard, en Norvège, Dufour-Lapointe monte sur la plus haute marche du podium, côte à côte, une spécialité qui lui sourit souvent. « J’ai raté mon départ, j’ai rattrapé la fille et j’ai skié comme une fusée… Je ne me souviens pas vraiment de cette descente, mais j’ai skié avec le feu dans les yeux. »

” Conte de fée “

A Sotchi, il a connu l’apothéose avec Justine, mais aussi avec Maxim, qui a atteint les demi-finales. “C’était un conte de fées. Tout a été calculé, organisé pour le spectacle. J’avais un plan et je l’ai exécuté. Les gens autour de moi ont veillé à ce que je sois à l’abri des distractions. En fin de soirée, ce n’était que de l’euphorie. C’était magique. C’était comme le petit rêve d’enfant que j’imaginais. » PyeongChang 2018 a été “un peu plus rude…” Le cancer de sa mère la saison précédente l’a “déstabilisée” profondément. “Ça ressemblait plus à un cauchemar”, a noté le 17e. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me pardonner et réaliser ce qui s’était passé. Je venais juste de me blesser et la maladie avait changé ma vision du sport. » Son dernier cycle olympique lui a aussi réservé des embûches. Privée d’entraînement sur neige pendant la pandémie, elle a eu du mal à maîtriser le nouveau saut hors axe qu’elle s’est juré d’effectuer à Pékin en 2022. À la fin du cours, elle « s’est sentie délaissée par sa fédération, Freestyle Canada, qui ne l’a pas recommandée à Sport Canada pour du financement, pour la première fois de sa carrière. Il a contesté en vain cette décision devant le Centre pour le règlement des différends sportifs. Frustré, Dufour-Lapointe n’a pas été distrait. Sa sélection pour les Jeux olympiques a été annoncée à la dernière minute, après avoir appris qu’elle ne serait que la première suppléante. Sa neuvième place dans la capitale chinoise, le meilleur résultat du Canada, lui a finalement donné raison. “C’était vraiment une descente libératrice, s’est-il réjoui. Je me suis laissé aller, j’ai flotté, j’ai fait mon meilleur bouchon. C’était une descente vers la liberté absolue. » “Une grande passionnée de mode”, déjà impliquée dans l’entrepreneuriat avec l’entreprise de vêtements Tissées Tightes qu’elle a fondée avec ses soeurs, attirée par le monde de la télévision, des conférences et de la philanthropie, Chloé Dufour-Lapointe a plusieurs cordes attachées à son arc. Une chose est sûre : sa seconde carrière sera “pluridisciplinaire”. « Ma retraite est émouvante, mais c’est un sentiment heureux. Je suis prêt à faire ce virage. J’ai une page blanche devant moi et je peux décider ce que je veux en faire. » Tout comme lorsqu’elle balançait ses skis au sommet d’une colline cahoteuse.