Posté à 6h30
Contrairement aux idées reçues, les terminaux de paiement qui proposent de laisser un pourboire de 15 % ou 18 % ne font pas que rendre les employés heureux. Parlez à ceux qui servent à boire et à manger aux trente comptoirs du nid des Canadiens de Montréal. L’option “pourboire”, ajoutée l’an dernier, crée des écarts de revenus importants entre collègues. “Nous ne le cacherons pas, la grande majorité des clients donnent un pourboire pour une bière à 12,75 $, mais pas pour un hot-dog à 5,35 $”, m’a dit un employé. Vous voyez déjà le problème. Qui veut se voir confier la vente de croustilles quand le comptoir d’en face, là où la Molson coule à flots, est deux ou trois fois plus rentable? Autre élément qui alimente la frustration, même si personne n’a de mauvaises intentions : lorsqu’ils sont à court de main, CH Group embauche du personnel de bureau. «Parfois, les travailleurs d’agence se retrouvent dans des bars, alors les syndiqués finissent par vendre des hot-dogs et gagnent moins de pourboires», a déclaré le porte-parole des Teamsters, Stéphane Lacroix. De plus, le personnel de l’agence ne reçoit pas de pourboires, selon le syndicat. Il est donc plus rentable de travailler à son comptoir avec du personnel d’agence qu’avec des collègues syndiqués avec qui il est impératif de partager le montant reçu des clients. Une situation qui alimente le “sentiment d’inégalité”. La direction du Groupe CH est bien consciente des problèmes soulevés par l’avis et travaille avec le syndicat des Teamsters pour les comprendre et les résoudre, m’a écrit le représentant canadien Charles Saindon-Courtois. Il n’a pas voulu en dire plus. En effet, une réunion à ce sujet, à l’initiative du parti patronal, devait se tenir mercredi. Le syndicat n’a pas pu me dire si cela avait été fait. « Nous voulons régler cela avant le début de la saison de hockey, a déclaré Stéphane Lacroix. L’objectif est de trouver une façon plus équitable de partager les pourboires, qui ont pris de l’ampleur depuis un an, tout en respectant l’ancienneté. Il faut savoir qu’au début de la pandémie, le Centre Bell interdisait presque partout les paiements en argent comptant. Cependant, ses bornes ne permettaient pas aux clients de laisser des pourboires. Les employés des stands de restauration ont donc subi une importante perte de revenus. Ils ont affirmé que les pourboires pouvaient être payés par carte de crédit ou de débit. L’employeur a accepté en juillet 2021. En échange, les membres du syndicat ont accepté une baisse de salaire horaire de quelques dollars. De toute évidence, personne ne s’est appauvri. Mais au bout d’un an, on se rend compte que dans la vraie vie, la question des pourboires aux bornes provoque des tensions sur lesquelles le Centre Bell n’a pas le monopole. Suite à mes chroniques conseils cet été, clients, serveurs et patrons se sont longuement exprimés sur le sujet. Cela a révélé une certaine incompréhension et même des abus. Un père m’a écrit pour signaler qu’un bar laitier avait gardé les pourboires de sa fille étudiante sous prétexte qu’elle gagnait plus de 11,40 $ de l’heure. Quel faux argument ! Rien n’empêche un employeur de payer plus que le salaire minimum. Une femme qui sert de l’alcool lors de mariages et de banquets ne peut pas toujours garder ses pourboires, m’a-t-elle dit. La raison qu’on lui a donnée en fin de soirée : elle est payée par une agence pour l’emploi. Comme au Centre Bell. Pourtant, la loi sur les normes du travail est claire : le pourboire appartient à l’employé qui a rendu le service. Selon Charles Tremblay Potvin, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, un travailleur d’agence ne peut légalement être privé des sommes envoyées par les clients. Même son de cloche à la Commission des normes, de l’égalité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), où l’on rappelle qu’en matière de conseil, les mêmes droits et obligations s’appliquent partout dans le monde. Du côté des restaurateurs, on aimerait pouvoir amener les serveurs à partager leurs astuces avec le personnel de cuisine pour faciliter le recrutement derrière les fourneaux. Une idée qui est loin de faire l’unanimité. La CSN et la FTQ sont contre. Pourtant, la majorité des clients (55 %) appuient l’idée du partage, révèle un récent sondage Léger commandé par l’Association Restauration Québec (ARQ), qui entend faire pression sur Québec pour changer la loi. Il y a cinq ans, ce chiffre était de 47 %. L’augmentation s’explique par une reconnaissance accrue du travail des chefs grâce à la multiplication des émissions télévisées les mettant en vedette, estime le porte-parole de l’ARQ, Martin Vézina. Nul doute que nous n’avons pas fini d’entendre parler du “trio 15% – 18% – 20%”.