Posté à 5h00
MAXIME Bergeron La Presse
Ce dossier brûlant devrait figurer en bonne place dans le premier débat des chefs ce jeudi soir, alors que la pression monte sur le chef caqui François Legault pour qu’il révèle des études justifiant ses travaux sur le tunnel de 6,5 milliards entre Québec et Lévis. Le document manquant de 28 pages, que La Presse a pu consulter, fait état des premiers constats du Groupe Mobilité Inter-Rive (GMI), composé des entreprises Stantec, Tetra Tech et Hatch. Le MTQ a accordé un contrat de 8,4 millions à ce consortium pour mener une « étude d’opportunité » en mai 2018 lorsque le précédent gouvernement libéral était au pouvoir. Ce « top rapport » a fait l’objet d’une conférence de presse de l’ancienne ministre libérale Véronyque Tremblay en août 2018, quelques mois avant l’élection qui a porté au pouvoir la Coalition avenir Québec (CAQ). Le document a ensuite été affiché sur le site Web du MTQ, mais le lien a depuis été désactivé.
IMAGE DE L’EXPOSITION 2018 Cinq corridors potentiels ont été ciblés pour un tunnel ou un pont dans le “rapport sur les faits saillants” de 2018. IMAGE DU SITE WEB DU MINISTÈRE DES TRANSPORTS Les liens vers l’étude de 2018 ont été supprimés du site Web du ministère des Transports.
1/2 Cinq corridors potentiels ont été ciblés pour un tunnel ou un pont dans le “rapport sur les faits saillants” de 2018. Les liens vers l’étude de 2018 ont été supprimés du site Web du ministère des Transports. GMI a proposé cinq “corridors” possibles pour créer une troisième liaison, qu’il s’agisse d’un pont ou d’un tunnel. Il s’agissait de bien définir les “besoins” avant de procéder à l’étude des “solutions” ultérieurement, peut-on lire. L’équipe devait également analyser les possibilités « d’optimiser » les deux ponts existants. Le mandat d’étude confié au consortium est toujours en cours. Au moins sept contrats d’études externes ont été octroyés par le MTQ dans le dossier du troisième lien, selon un document rendu public en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. En plus du contrat GMI, il y a notamment : – un mandat de 114 000 $ confié à l’École nationale d’administration publique (ENAP) pour analyser les « impacts des grands projets d’infrastructures sur l’aménagement du territoire ». Le rapport a été remis au MTQ. – un contrat de 16,2 millions pour des investigations géotechniques en milieu terrestre et marin attribué au consortium SNC-Lavalin/Englobe en juillet 2020, toujours en cours; – « Étude d’impact sur l’environnement du projet de tunnel Québec-Lévis et du milieu d’accueil », octroyée à la coentreprise SNC-Lavalin/Englobe en septembre 2021 pour 1,9 million, en cours. Le porte-parole du MTQ, Nicolas Vigneault, souligne que la plupart des études sur le troisième maillon sont toujours en cours et « donc » ne peuvent être rendues publiques. Le rapport de l’ENAP, qui a été finalisé, est une « contribution » à « l’étude d’opportunité » en cours et ne peut donc pas être diffusé, ajoute-t-il.
Pourquoi avez-vous retiré le rapport ?
Le retrait du rapport 2018 du site Web du MTQ n’est pas inhabituel, affirme son porte-parole. Le Département ne supprime pas les documents, mais met à jour le contenu de ses pages en conservant les informations les plus pertinentes. Nicolas Vigneault, représentant du MTQ Il précise que le rapport GMI n’est pas une étude formelle, “mais plutôt une information utilisée dans le cadre d’une activité de presse”. Le site officiel du troisième lien montre cependant plusieurs documents qui sont soit liés à des conférences de presse, soit obsolètes par rapport à la nouvelle version du projet. Toute cette documentation a été regroupée sur le site Internet du « Réseau express de la capitale » (REC), géré par le MTQ. IMAGE DU SITE DU RÉSEAU CAPITAL EXPRESS La vision du futur réseau de transport de la région de Québec, incluant le tunnel de la Rive-Sud, le tramway et les voies réservées aux autobus Il comprend, par exemple, une étude sur la faisabilité technique et les coûts du tunnel, réalisée en 2016 par l’ingénieur Bruno Massicotte, de Polytechnique. Cependant, ce rapport concerne une ancienne route – de l’île d’Orléans – qui a été abandonnée par le gouvernement Legault au début de 2020 au profit d’un passage plus à l’ouest. Dans une interview, Bruno Massicotte note que tout le volet lié à la facture du tunnel – d’une valeur de 4 milliards en 2016 – n’est plus d’actualité. “Le coût au mètre cube d’excavation a changé, on n’est pas sur les mêmes sols et les raccordements aux deux extrémités ne sont pas les mêmes. » Le site Internet du REC présente également plusieurs études anciennes datant de 1973. La plupart d’entre elles portent sur un tracé passant par l’île d’Orléans, ce qui n’a rien à voir avec les plans révisés de la CAQ. IMAGE DU SITE INTERNET DU RÉSEAU EXPRESS DE LA CAPITALE Couverture d’un rapport de 1975 sur un éventuel troisième lien
“Devoir de transparence”
Selon Danielle Pilette, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le gouvernement a « un certain devoir de transparence » dans la divulgation des documents, étant donné que les études – et l’avenir tunnel de 6,5 milliards – sont payés avec l’argent des contribuables. “Il ne s’agit pas nécessairement de la publication de chaque étude, mais de la publication, au moins, de la liste des contrats exécutés, des sujets [étudiés]et au moins un résumé étape par étape », dit-il. Mme Pilette se dit « surprise » que le rapport 2018 ait été retiré du site Web du MTQ. Il pense que sa disparition pourrait s’expliquer par des “raisons politiques”. Le rapport du GMI évoquait la possibilité de construire un pont ou un tunnel en cinq points différents, tandis que la CAQ a rapidement orienté son choix vers une solution unique, celle du tunnel.
La pression monte sur Legault
Traqué quasi quotidiennement dans le troisième cercle depuis le début de la campagne électorale, François Legault a jusqu’ici refusé de diffuser les études qui justifieraient la mise en place du projet. Des versions “mises à jour” seront rendues publiques dans les prochains mois, a-t-il répété. Le maire de Québec, des élus de l’opposition et plusieurs groupes civiques et environnementaux dénoncent les nombreuses questions qui subsistent. Ils craignent entre autres une augmentation du trafic automobile et des émissions polluantes, une baisse de la qualité de vie aux abords des sorties du tunnel et une augmentation de l’étalement urbain. Beaucoup se demandent même si un tel projet est vraiment nécessaire. PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL Bruno Marchand, maire de Québec Il appartient au gouvernement du Québec de démontrer scientifiquement la nécessité d’un tel projet pour la ville de Québec. Bruno Marchand, maire de Québec « Pour l’instant, nous avons toujours confiance que le gouvernement préparera ces études et nous les fera parvenir », a ajouté le maire dans un communiqué à La Presse. Trois sources de haut niveau de la Ville de Québec et de la Communauté métropolitaine de Québec, qui devraient normalement avoir leur mot à dire dans le développement d’un projet aussi important, regrettent de ne pas…