La chasse aux “antiquités de sang”, des zones de guerre tenues par Daech aux arrière-boutiques des marchands d’antiquités sans scrupules On y retrouve Jean-Paul Gaultier, Donatella Versace, Rihanna ou encore Amal Clooney, avocate et épouse de l’acteur américain du même nom. La célébrité de la télévision américaine Kim Kardashian fait partie des invités. Ce dernier décide de poser devant le sarcophage de Nedjemankh, prêtre égyptien de haut rang du Ier siècle avant J.-C., exposé au musée. Elle n’imaginait pas alors que sa photo ferait le tour du monde et déclencherait une enquête internationale. Car un intermédiaire, furieux de ne pas avoir été payé après avoir participé à un trafic d’antiquités, reconnaît le sarcophage sur Internet et se présente à la police du Caire. Il reconnaît que l’objet a été pillé et dénonce ses complices. Commence alors une enquête du FBI qui va confirmer l’origine illégale de l’objet. Des recherches qui permettront ensuite le démantèlement d’un vaste réseau d’antiquités en vitrine dans de nombreux pays. A la tête de ce réseau, d’après les données de recherche auxquelles nous avons eu accès, on trouve une famille égyptienne d’origine arménienne : les Simoniens. Au début des années 1970, il possède une galerie d’antiquités au Caire, puis s’exile à Hambourg et prend la nationalité allemande, avant de se réfugier derrière une marque de numismates respectés. Mais derrière cette couverture, les simoniens, coulent des objets pillés, dont certains ont filtré hors d’Egypte lors du chaos provoqué par le printemps arabe de 2011. Le plus actif sera Simon, le grand frère qui se fait appeler Herr Doktor. Puis, à sa mort en 2020, son frère Serop, déjà établi sur le marché de l’art européen, prend le relais. La famille reste discrète. Non affiché dans les expositions ou les salons. Les objets qu’il revend arrivent en Europe par un détour. Certains transiteront par Bangkok ou Dubaï et séjourneront dans des ports francs à l’écart des autorités. Trafic d’antiquités : l’ancien président du Louvre Jean-Luc Martinez a “retiré” certaines de ses fonctions d’ambassadeur Pour blanchir et vendre ces articles, les Simoniens ont recours à un homme de main nommé Roben Dib. Il vit dans leur maison. Ce sont eux qui lui ont appris les ficelles du métier de clôture. Il est le protégé de Serop qui l’a embauché dans ses premières années. Au fil des ans, Roben Dib et les Simoniens ont mis en place des stratégies pour blanchir des objets d’origine illicite. Ils s’adressent à de nombreux musées européens en leur proposant de prêter leurs antiquités pour les étudier, ce qui leur donne une forme de dignité, une sorte de pedigree. Roben Dib supervise également la restauration des œuvres et prépare de faux documents d’origine et de faux certificats d’exportation. Pour cela, il utilise une machine à écrire des années 1930 trouvée en Allemagne, grâce à laquelle il crée de toutes pièces ces certificats, inventant des pseudo-propriétaires pour les objets. Enfin, il se rapproche d’un expert de la maison de vente aux enchères Pierre Bergé & Associés, Christophe Kunicki, spécialiste mondialement reconnu de l’archéologie méditerranéenne. Ce dernier vendra dans un premier temps quelques petites antiquités provenant soi-disant de la collection personnelle de la famille Dib. Puis les ventes se dérouleront sans encombre, il proposera de plus en plus d’articles des Simoniens. Une fois passées sous le marteau, elles rejoignent des collections privées où la question de leur provenance ne se pose plus. Une vente aux enchères par Pierre Bergé & Associés à la maison de ventes Drouot, principale maison de ventes à Paris. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / MAXPPP) Ce système est partiellement documenté dans un rapport rédigé en mai 2019 par le procureur de la ville de New York, Cyrus Vance Junior, auquel l’enquête de la Cellule de Radio France a eu accès. Il a déclaré: «Il semble que les voleurs de ce réseau envoyaient par courrier électronique des photos d’antiquités sales et endommagées à Dib et Simonian. […] Une fois que Dib a accepté d’acheter une antiquité volée, la pièce a été sortie clandestinement de son pays d’origine. […] Dib s’occupera ensuite de le nettoyer et de le restaurer. […] Dib créerait ensuite de fausses provenances et de faux historiques de propriété pour vendre les objets sur le marché international de l’art. Par l’intermédiaire de Christophe Kunicki, le musée du Louvre à Paris apparaîtra dans ce cas. L’expert a eu vent de l’ouverture à Abu Dhabi d’un musée jumeau du Louvre, créé par l’architecte Jean Nouvel, qui cherche des objets prestigieux à exposer. En 2016, il a ainsi offert à la commission d’acquisition du Louvre Abu Dhabi plusieurs antiquités, dont le buste de Cléopâtre, le sarcophage doré de la princesse Henouttaouy ou encore la colonne de granit rose de Toutankhamon. Ces objets sont si célèbres que Jean-Luc Martínez, alors mécène du Louvre, qui fait partie de la commande, se déplace en personne pour les admirer lorsqu’ils sont en dépôt à Paris. Pour conseiller les Émirats arabes unis sur les objets qu’ils pourraient acquérir, le Louvre s’est alors appuyé sur une agence privée, les Musées de France (AFM). Le rôle de l’AFM est de sélectionner les projets, de s’assurer de leur origine légale et de négocier les prix avant de soumettre ses propositions à Emiratis. Son directeur scientifique est Jean-François Charnier, un proche de Jean-Luc Martinez. Une fois que l’AFM a pris sa décision, un vote formel est organisé en comité de reprise. Vote auquel participe alors Jean-Luc Martínez du côté des Emirats. Ainsi le buste de Cléopâtre sera acheté pour 35 millions d’euros, le sarcophage doré pour 3,5 millions d’euros et la colonne de granit rose pour 8,5 millions d’euros. Au total, au moins sept objets de provenance douteuse auraient été achetés par le Louvre d’Abu Dhabi. Une femme regarde la stèle au nom de Toutankhamon exposée au Louvre d’Abu Dhabi en novembre 2017. (STRINGER – ANADOLU AGENCY / AFP) Comment des personnalités aussi importantes ont-elles pu conseiller un tel achat alors que certains de ces objets semblaient avoir été volés ? Certes, la spécialité de Jean-Luc Martinez est la Grèce antique et non l’Egypte. Mais ensuite, il est chargé d’une mission de lutte contre le “trafic illégal de biens culturels”. La question de la provenance des objets est un thème dominant. Il semble aussi avoir été en proie à un doute. Des courriels consultés par la Cellule de recherche de Radio France montrent que le 2 août 2016, il a demandé à l’Agence France Musées de lui fournir des précisions sur la provenance de la Colonne de Toutankhamon. Mais au final, ses services valideront les faux certificats rédigés par Roben Dib et authentifiés par Christophe Kunicki. Nouvel épisode de questions. Dans les documents accompagnant la colonne il est indiqué qu’elle appartenait à un certain Johannes Behrens, capitaine de la marine marchande allemande, qui l’acheta en 1933. Ce nom attise la curiosité d’un journaliste d’un magazine spécialisé. En enquêtant, il découvre qu’un portrait funéraire égyptien appartenant à un célèbre collectionneur suisse, Jean-Claude Gandur, était également censé être détenu par ce marin allemand. “Un capitaine de marine marchande ne devrait pas gagner plus de 5 000 euros aujourd’hui, s’émerveille Marc Gabolde, célèbre égyptologue. En 1935, moins de dix ans se sont écoulés depuis que l’on a découvert la tombe de Toutankhamon. C’est le pharaon le plus célèbre. Une stèle intacte dans le nom de ce pharaon inscrit à la dernière année du règne, c’est déjà forcément alors des sommes colossales.Autant dire que le cas du collectionneur naval semble improbable. Il existe en effet une photographie de la colonne dans les archives du Louvre. On pense qu’elle proviendrait du site d’Abydos à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Louxor. Il aurait été fouillé lors de la construction d’un nouveau quartier entre 1990 et 1995. Mais il semblerait qu’il ait été volé pour réapparaître mystérieusement 30 ans plus tard. Sa provenance semble si suspecte que lorsque le musée du Louvre demande à Marc Gabolde d’écrire un article sur cette colonne, devenue l’un des joyaux du musée d’Abu Dhabi, l’égyptologue exprime ses doutes. Et rarissime selon les experts en archéologie, il n’acceptera de publier son article qu’à la condition qu’il ne fasse aucune référence à la provenance de l’objet. L’embarras du moment fera bientôt place à l’étonnement. Pourquoi les masques tombent. Après un douloureux divorce, l’ex-femme du faussaire Roben Dib va ​​enfin le dénoncer aux autorités. En mars 2022, l’homme sera arrêté et placé en garde à vue. L’origine…