“Le problème, c’est que les Français ont été élevés avec l’idée que le bonheur commence à l’âge de la retraite, donc peu de gens s’en soucieront si on essaie de voler ne serait-ce qu’un quart de ce bonheur…” L’oiseau de mauvais augure se confie à La Dépêche , il est le directeur d’un célèbre groupe de réflexion et s’entretient avec de nombreux ministres. Mais cette fois, il semble qu’il n’ait pas été entendu. Emmanuel Macron a bien annoncé avant la réunion de l’Association de la presse présidentielle à Nantes en début de semaine qu’il maintenait non seulement son projet de réforme de son système de retraite, mais qu’il envisageait même d’accélérer le rythme. Selon lui, la France devrait investir massivement dans la santé et l’éducation, mais la question, a-t-il assuré, est “comment on va le financer”. De son point de vue, il y a trois voies qui doivent s’additionner : produire plus de richesse, augmenter la quantité de travail en réduisant le chômage – d’où la réforme de l’assurance-chômage – et la réforme des retraites. “On ne peut pas attendre”, a-t-il assuré, sans exclure qu’au lieu de discuter d’un texte spécial, cette réforme se glisse dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui doit être débattu à l’Assemblée en octobre. Ce jeudi 15 septembre, il a pourtant semblé reculer, assurant devant les préfets : “Le gouvernement le mènera par la concertation sociale et la recherche de compromis.” Dès lundi, l’annonce a en effet fait hurler les syndicats, qui seraient de fait exclus des négociations. Les partis d’opposition se sont également mobilisés pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme un déni de démocratie. “Si Emmanuel Macron (a utilisé le PLFSS) pour attaquer les retraites, c’est-à-dire pour contourner un débat sur la question, il se heurtera à notre opposition totale”, a déclaré Marine Le Pen à France 2 mardi dernier. “Le président de la République doit respecter un dialogue social minimum dans notre pays”, a pour sa part assuré Olivier Marleix, le patron des députés LR. “Ce serait une déclaration de guerre, nous confiait ce jeudi le député de l’Insoumi Manuel Bompard qu’il imagine déjà une “proposition de censure” et une “réponse dans la rue”. Mais la réticence ne se limite pas à l’opposition. Des critiques ont été entendues au sein du gouvernement et de la majorité au Parlement, bien qu’exprimées plus subtilement. Le fond d’abord : « En 2019, on pourrait dire que la réforme Delevoye était légitime car elle améliorait le système, mais ici, ce qui est proposé ne prend en compte que l’aspect financier pour dégager des marges fiscales. Le faisceau s’est sérieusement décalé », grince un ministre. Avant tout sur la forme : « J’adore le hard rock, ma fille porte des t-shirts ACDC, le trash ne me fait pas peur mais c’est là que j’atteins mes limites. Le mix retraite/assurance-chômage va être compliqué », assure un autre… Du côté des députés de la Renaissance, l’enthousiasme est tout aussi modéré. Le risque de dissoudre cette Assemblée sans majorité absolue est en effet dans tous les esprits et certains se disent qu’ayant voté la réforme des retraites, ils auraient très peu de chances d’être réélus. “Je pense que le jour du vote, si le Président passe par le PLFSS, il y aura beaucoup d’absents”, assure un pilier du parti présidentiel. Une question demeure qui taraude l’opposition dans sa majorité : pourquoi le président veut-il aller vite ? Pour certains, il s’agit de reconquérir le leadership. Après une rentrée parlementaire en juillet qui lui a laissé peu de contrôle. Emmanuel Macron espère, en faisant passer cette réforme contre vents et marées, montrer qu’il peut réformer malgré le contexte politique compliqué. Une façon de redevenir propriétaire d’une montre qui n’est pas sans risque. Un ministre confiait mercredi à La Dépêche : « Je n’imagine pas la violence des débats à l’Assemblée, ce sera comme un mariage pour tout le monde. »