A la lecture de la liste des matériaux qui alimenteraient le méthaniseur de ses voisins, l’éleveur Dominique Minard a eu des sueurs froides. Dans la dernière ligne est ” 1 700 tonnes d’écume », c’est-à-dire l’intérieur de l’estomac et des intestins d’animaux abattus dans un abattoir voisin. Ces matériaux sont dangereux. Ils contiennent des résidus de médicaments, ceux ingérés par les animaux au cours de leur vie, comme les antibiotiques. Ils contiennent également des agents pathogènes de toutes sortes, dont certains peuvent être porteurs de maladies. Dominique Minard, éleveur bovin et porcin à Trmorel dans le sud-est des Côtes-d’Armor, a déjà fait face à ce genre de maladie. En 2018, alors que l’usine de biogaz n’existait pas encore, plusieurs de ses vaches sont mortes, d’autres ont avorté. ” En juin et septembre, il y a eu un total de quatorze avortements et sept décès », précise-t-il. Après analyse, la fièvre Q est pointée du doigt. Cette maladie est assez fréquente dans les élevages. Ce sont les matériaux épandus au sol qui véhiculent la bactérie responsable de cette fièvre. Elle peut être transmise à l’homme et touche le foie, les poumons, les reins. Il se déplace dans l’air et, selon le vent, peut voler jusqu’à 80 km, assez pour endommager les fermes voisines. Pour Dominique Minard, la bactérie n’a parcouru que quelques mètres, depuis un champ voisin, pour infecter son troupeau et provoquer la mortalité. Un coup dur pour la ferme qui mettra plusieurs années à se remettre. Alors quand l’éleveur et son beau-père Serge Lemaître, qui habite à la ferme, découvrent que ces mêmes matières stéréogéniques vont alimenter le biogazéificateur de son voisin et que la matière produite par ce biogazéificateur, le digestat, va se répandre sur les terres voisines. fermes, leur sang coule sauvage. Ils imaginent déjà le drame de 2018 se répéter à un rythme effréné et craignent que l’arrivée du méthaniseur ne renforce et multiplie les foyers de maladie dans leur troupeau. Ils recherchent une expertise vétérinaire pour savoir si ce projet est dangereux pour leurs animaux et leur ferme. En 2020, Alban Charrette, vétérinaire d’un groupement d’éleveurs du Maine-et-Loire, Seenovia, visite l’élevage de l’éleveur costaricien et en dresse le bilan. ” C’était la première fois qu’on me demandait de vérifier les problèmes de santé potentiels d’une usine de biogaz à proximité d’une ferme biologique.se souvient-il deux ans plus tard. J’informe généralement les gazogènes ruraux des points d’hygiène à surveiller. Dans son rapport, il écrit : L’utilisation de l’écume et du fumier de l’abattoir augmente nettement les risques sanitaires. Les bovins abattus proviennent de nombreux élevages différents dont l’état sanitaire ne peut être connu en temps réel par les exploitants du site de méthanisation. Je suppose qu’un traitement d’hygiène est prévu pour atténuer ce risque. » La députée PS d’Ille-et-Vilaine Claudia Rouaux notifie le préfet de Bretagne Emmanuel Berthier de la construction de l’usine de méthanisation d’énergie collective Breizh, à Trémorel, en novembre 2020. Elle cite dans son courrier la notification du vétérinaire Alban Charrette, entamée après la visite de ce dernier l’éleveur Dominique Minard. • © Document Splan !
En effet, 48 000 tonnes d’animaux sont abattus chaque année à l’abattoir de Trmorel, situé entre Saint-Brieuc et Rennes. Des animaux provenant de dizaines d’élevages sont transportés par camions depuis les quatre coins du département et au-delà. Le contenu des estomacs et des intestins des animaux, notamment les méthanogènes, est ensuite déversé dans le digesteur adjacent. Ces déchets animaux, mélangés à d’autres ingrédients tels que les déchets de céréales, permettent au biogazéifieur de produire du bon gaz. Mais tous ces déchets ne se transforment pas seulement en gaz, loin de là. Il reste une grande quantité de matière solide ou liquide : le résidu digéré. Il sera épandu sur les champs comme engrais. Ainsi, certains pathogènes, résidus de médicaments, métaux lourds, pesticides qui pénètrent dans le méthaniseur se retrouvent à la sortie et donc dans les terres agricoles, posant également un problème de contamination à l’ammoniac (lire notre recherche : « La Bretagne, une bouffée d’air frais avec l’ammoniac » ). Ces substances ne disparaissent à aucun stade du processus. En revanche, ils circulent d’une ferme à l’autre, éventuellement sur plusieurs dizaines de kilomètres, en passant par la grande zone de mélange qu’est un abattoir. En effet, l’abattoir est un point de contact important entre une multitude de pathogènes et le digesteur, qui récupère ses déchets, est un cluster potentiel. Plus il y a de déchets de provenances différentes, en gros volumes, plus il est difficile de retracer l’origine de chaque déchet, plus les risques sanitaires sont importants. Cependant, le secteur de l’élevage est conscient de ces problèmes. Les élevages de volailles vivent sous la menace d’épidémies de grippe aviaire de plus en plus fréquentes. Près de 1 400 cas d’infection ont été détectés et 16 millions de volailles ont été abattues entre novembre 2021 et mai 2022. Les zones de surveillance temporaires décidées par les préfets pour limiter la propagation du virus ont été progressivement étendues cet été à l’ensemble de la Bretagne. Dans le même temps, la peste porcine fait son retour, pour l’instant en Italie. La seule mesure préventive prévue est l’abattage. En juin 2022, un millier de porcs y ont été abattus. La propagation des résidus digérés pourrait être un vecteur de propagation de maladies telles que la fièvre Q, le syndrome respiratoire reproducteur porcin, mais aussi le botulisme. Cette dernière maladie est mortelle, tant chez l’animal que chez l’homme, mais peu répandue. Il est cependant inquiet car il a connu un foyer en mai 2020, notamment en Bretagne, avec six élevages infectés. Le botulisme est principalement transmis par le fumier de volaille. “Il suffit d’une carcasse de volaille, de renard, de rat, de pigeon, pour passer inaperçue dans la nourriture ou pour épandre du fumier sur une parcelle à côté de laquelle paissent des bovins, et le botulisme peut infecter un élevage bovin”, explique Alban Charrette. Un filet d’eau de marée brassé par un abattoir, puis un gazogène. Si ces maladies sont présentes à l’entrée de la centrale de méthanisation, elles pourraient bien persister à la sortie. “La fièvre Q est censée être résistante à la méthanisation, des études sont en cours sur cette maladie mais aussi sur la tuberculose bovine”, explique le vétérinaire. La direction est très attentive à la question pour éviter qu’elle ne se propage dans les fermes. Cela dit, à ce jour, nous n’avons eu aucun cas avéré de maladie transmise par dispersion de digestat issu de la méthanisation. » Une sauvegarde est définie par la réglementation. Pour éliminer les agents pathogènes, la mousse, la pulpe et le fumier doivent être hygiéniques, c’est-à-dire chauffés à 70°C pendant une heure. Mais certains agents pathogènes résistent à cette chaleur. Et il y a de nombreuses exceptions. L’assainissement n’est obligatoire qu’au-dessus de 30 000 tonnes par an de matières, animales et végétales, consommées par un digesteur ou si plus de dix exploitations fournissent des déchets. Or, la quasi-totalité des méthaniseurs bretons sont en dessous de cette limite, évitant ainsi le coût très élevé du maintien en température de 70°C pendant une heure. L’agence locale de l’énergie pour l’Ouest, Aile, qui soutient de nombreux projets dans la région, estime dans une étude de 2019 que « hygiène […] ce n’est pas faisable économiquement “. Autrement dit, il faut choisir entre rentabilité et sécurité. ” La méthanisation n’est pas une solution sanitaire, elle n’a pas été conçue dans ce but. Les méthaniseurs ne sont pas conçus pour éliminer les agents pathogènes », rappelle Anne-Marie Pourcher, chercheuse à l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, à Rennes. Cet expert des agents pathogènes de la méthanisation explique que globalement cette technologie n’améliore ni n’aggrave l’état sanitaire actuel de l’agriculture tant que les garanties réglementaires sont respectées. Mais dans la grande majorité des cas en Bretagne, la procédure d’hygiène n’est pas obligatoire et donc pas appliquée. De plus, des réflexions apparaissent dans des rapports scientifiques. Une étude menée en Norvège montre la présence de micropolluants dans les boues d’épuration et estime que « Dans certains cas, des contaminants pourraient se développer pendant le…