Le cessez-le-feu annoncé, vendredi 16 septembre, entre le Kirghizistan et le Tadjikistan est-il déjà terminé ? Dès l’après-midi, les deux pays d’Asie centrale s’accusaient de violations mutuelles de cette trêve. Dans la nuit de vendredi à samedi, le ministère kirghiz de la santé a annoncé que ces violences avaient fait au moins 24 morts côté kirghiz, dans la région de Batken, située au sud-ouest du Kirghizstan et frontalière du Tadjikistan. Le président kirghiz, Sadyr Japarov, et son homologue tadjik, Emomali Rahmon, s’étaient entretenus lors du sommet régional de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), en Ouzbékistan. Ils avaient « convenu de donner pour instruction aux institutions concernées de cesser le feu et de retirer les forces et les équipements de la ligne de contact », selon un communiqué de la présidence kirghize. Le cessez-le-feu est entré en vigueur à 16 heures locales (midi, heure de Paris) vendredi, mais les gardes-frontières kirghiz ont rapidement accusé l’armée tadjike « d’avoir ouvert le feu à nouveau » sur leurs positions à la frontière, jugeant la situation « toujours tendue ». Leurs homologues tadjikes ont répliqué dans un communiqué, dénonçant « les tirs de la partie kirghize » en direction « de trois villages du Tadjikistan ».

La Russie exprime sa « préoccupation »

Selon le chef du comité d’Etat pour la sécurité nationale, Kamtchybek Tachiev, « les tirs se sont [toutefois] arrêtés » entre 20 heures et 23 h 15, heure locale (entre 17 heures et 21 h 15, heure de Paris). MM. Japarov et Rahmon ont convenu « de créer une commission chargée d’enquêter sur la cause des incidents », soulignant l’importance de résoudre leurs différends « par des moyens politiques et diplomatiques », a rapporté l’agence de presse tadjike Khovar. Un peu plus tôt dans la journée, le Kirghizistan avait accusé le Tadjikistan d’avoir bombardé, vendredi 16 septembre, une ville frontalière à l’aide d’armes lourdes. Si des heurts ont régulièrement lieu à la frontière entre ces deux anciennes républiques soviétiques empêtrées depuis des années dans une dispute territoriale, ces violences marquent une aggravation notable. La Russie a exprimé vendredi sa « préoccupation », son ministère des affaires étrangères appelant « les deux parties à prendre des mesures exhaustives et urgentes pour (…) mettre fin à toute tentative d’escalade ». Le président russe, Vladimir Poutine, a, lui, jugé la situation « tendue » en marge d’une rencontre avec son homologue azerbaïdjanais en Ouzbékistan. Selon Bichkek, les forces tadjikes ont bombardé vendredi la ville frontalière de Batken, située dans le sud-ouest du Kirghizistan, dans une zone disputée par les deux pays. « Les abords de l’aéroport de Batken et des [lieux] situés en lisière de la ville se sont retrouvés sous le feu de systèmes de lance-roquettes multiples. Des infrastructures civiles de la ville de Batken ont été détruites », ont déclaré les gardes-frontières kirghiz dans un communiqué.

Dix-neuf mille personnes évacuées par précaution

Le Kirghizstan a annoncé vendredi soir qu’au moins 24 personnes avaient été tuées dans des affrontements frontaliers avec le Tadjikistan. Le ministère de la santé kirghiz avait annoncé quelques heures auparavant que 87 personnes avaient été hospitalisées vendredi. « Il y a beaucoup de pertes parmi les militaires », mais « moins parmi les civils », a dit à la télévision M. Tachiev. Avant d’ajouter : « Il n’y a plus que du personnel militaire dans les zones frontalières ». Au moins dix-neuf mille personnes habitant autour de la ville kirghize de Batken, bombardée par l’armée tadjike, ont été évacuées par précaution, a annoncé la branche locale du Croissant-Rouge vendredi après-midi. « Pour le moment, notre équipe d’intervention du bureau de Batken fournit un premier soutien psychologique aux évacués dans un logement temporaire », a-t-elle fait savoir le Croissant-Rouge dans un communiqué. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Tadjikistan, répression massive contre la minorité pamirie
Le comité d’Etat pour la sécurité nationale du Kirghizistan a fait savoir que des « affrontements intenses » et « violents » se déroulaient dans la zone frontalière, accusant le Tadjikistan de « bombarder le territoire kirghiz avec tout son arsenal disponible » et de continuer à déployer des « équipements lourds ». Il a rapporté l’utilisation de « blindés lourds, de lance-roquettes multiples et de l’aviation » par le Tadjikistan. « Toutes les attaques terrestres et aériennes trouvent leur réponse de la part du côté kirghiz, ce qui empêche toute capture de territoire », a-t-il ajouté. Le Tadjikistan, de son côté, a accusé les forces kirghizes d’avoir ouvert le feu, tôt vendredi, sur des postes frontaliers tadjiks, sans faire état dans l’immédiat de victimes dans ses rangs.

Fuite des civils, ouverture de centres d’accueil

Selon la diplomatie kirghize, les ministres des affaires étrangères des deux pays se sont entretenus pour tenter de mettre fin aux affrontements. Les habitants de plusieurs villages frontaliers ont fui la zone de combats, a par ailleurs rapporté le ministère des situations d’urgence kirghiz, annonçant l’ouverture de centres d’accueil. « Nous appelons les deux parties à prendre des mesures exhaustives et urgentes pour (…) mettre fin à toute tentative d’escalade et aux provocations des tierces parties », a déclaré le ministère des affaires étrangères russe dans un communiqué. En début de semaine, des affrontements entre les deux pays avaient fait deux morts dans les rangs des gardes-frontières tadjiks et plusieurs blessés de part et d’autre. La frontière entre le Tadjikistan et le Kirghizistan est le théâtre d’affrontements meurtriers réguliers. Près de la moitié des 970 kilomètres de frontière est contestée et les progrès en matière de délimitation ont été lents ces dernières années. L’année 2021 a vu un nombre d’affrontements sans précédent opposer les deux parties, faisant plus de cinquante morts et laissant craindre l’élargissement du conflit. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Sanglante répression sur le « toit du monde » tadjik
Le Monde avec AFP