Ce texte fait partie du dossier spécial 100 ans de l’Acfas
Si aujourd’hui le sida ressemble presque à une maladie du passé, c’est toute une génération qui a été marquée par cette épidémie. “Les patients sont venus à la clinique avec toutes sortes de maladies effrayantes”, se souvient le Dr Rezan Thomas. Chronique d’une crise un peu oubliée et de son visage montréalais. 1982. Un jeune danseur québécois vivant à New York se présente à la clinique du Dr. Réjean Thomas, à Verdun, se croyant atteint d’un “cancer gai”. « C’était mon premier pas dans le monde du sida, je ne savais pas que mon destin en serait affecté », raconte le Dr Thomas qui a ouvert en 1984 L’Actuel, une clinique spécialisée dans les ITSS, aux portes de le Quartier .comclusive (anciennement appelé Gay Village), et qui sera au centre de la crise.
Une maladie dévastatrice
La maladie reste un mystère : une première description est parue dans une revue scientifique avant qu’on ne découvre, en 1983, que le SIDA est causé par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Même avec les premiers tests de dépistage, “nous ne savions pas quoi en faire, car il n’y avait pas de traitement”, se souvient le Dr Thomas. Recevoir ce diagnostic était extrêmement stigmatisant pour le patient et tous ses proches. Dans les années 1980, le sida est devenu la principale cause de décès chez les homosexuels. « Les gens regardaient leurs amis mourir les uns après les autres. C’était tragique », décrit Alexandre Klein, philosophe, historien des sciences et professeur adjoint à l’École des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa. Les jeunes patients souffraient de multiples maux (perte de vision, sarcome de Kaposi, démence, etc.) et décédaient rapidement. “Il y avait beaucoup de souffrances physiques et mentales”, observe le Dr Thomas.
Collaborer à la recherche
“Au Québec, on voit d’abord une mobilisation des médecins, qui voient ces cas dans leurs cliniques”, observe Mariane Fournier, qui a fait sa thèse sur le sida au Québec sous la direction du professeur Klein. Les principaux groupes touchés étant marginalisés (homosexuels, Haïtiens, hémophiles et consommateurs de drogues injectables), les gouvernements tardent à réagir. “En 1985, l’épidémie était mondiale et prenait tellement de place que nous avons décidé de réunir chaque année les scientifiques travaillant sur le sida”, explique M. Klein. En 1989, la 5e Conférence internationale sur le sida a eu lieu au Palais des Congrès de Montréal. Alors que cette conférence s’adresse au corps médical et scientifique, des militants, des patients et des associations associatives (dont Act-Up et Reaction sida) viennent manifester. “Ces gens disent” vous ne pouvez pas simplement vous rencontrer en tant que scientifiques “. Ce n’est pas seulement un problème médical, c’est un problème social », souligne Alexandre Klein. A partir de ce moment, “les associés, les proches et les patients seront invités à la recherche médicale et confirmés comme acteurs à part entière de la lutte contre le sida”, ajoute-t-il. Ce mode de recherche est particulièrement fort au Québec. “Ça a redéfini la relation entre médecins et patients, malgré le drame qu’a été l’épidémie”, résume Mariane Fournier. Grâce à la mobilisation des médecins, mais surtout des patients, des progrès significatifs seront réalisés dans la recherche.
Montréal, une plaque tournante majeure
Montréal s’est démarquée de différentes façons au fil des ans. “C’est l’une des premières villes où nous avons mis en place un centre de soins, au début de l’épidémie”, observe M. Klein. La clinique du Dr Thomas devient un modèle au Canada et dans le monde. « Ici, la prise en charge est assurée par les médecins de famille, plutôt que par le système hospitalier et les spécialistes des maladies infectieuses », compare le Dr Thomas. L’approche holistique place la relation patient-médecin au centre de l’intervention. Les premiers médicaments antiviraux ont été découverts à la fin des années 1980. Le biochimiste Bernard Belleau et le chercheur Mark Wainberg, tous deux résidents de Montréal, joueront un rôle clé dans la découverte de la lamivudine (3TC), approuvée en 1995-1996. Grâce aux médicaments antiviraux, les malades du SIDA mènent une vie plus ou moins normale, maintenant leur charge virale très basse. Nous savons aussi maintenant que le SIDA peut être guéri. “C’est très rare, mais c’est possible”, note le Dr Thomas. Malheureusement, peu de choses semblent avoir été apprises de cette crise majeure. Coupes dans les financements de la santé publique, abandon des campagnes de sensibilisation au sida, stratégies de santé publique discriminatoires… « On a géré le COVID et le monkeypox comme si le sida n’avait jamais existé », déplore Mme Fournier.