Ce texte fait partie du dossier spécial 100 ans de l’Acfas
Les années 1970 ont été marquées par une nouvelle façon d’appréhender la délinquance liée aux problèmes de santé mentale. L’émergence d’une discipline, la psychiatrie légale, illustre le passage d’une vision coercitive et punitive à une solution centrée sur la réhabilitation. Au Québec, l’histoire de cette branche est étroitement liée à celle de l’Institut Philippe-Pinel, à Montréal. Au début des années 1960, le gouvernement du Québec crée une commission d’étude sur les hôpitaux psychiatriques peu de temps après la publication du livre. Les fous crient à l’aide !. Son auteur, Jean-Charles Pagé, dénonce le traitement et les conditions de vie dans les “asiles” de l’époque. La commission a ensuite publié ses conclusions dans le rapport Bédard, qui recommandait la désinstitutionnalisation des soins de santé psychiatriques. Un nouveau comité, composé des docteurs Lucien Panaccio, Bruno Cormier et Camille Laurin, est mandaté pour réfléchir à la création d’un hôpital moderne à sécurité maximale, où les traitements sont axés sur la réadaptation des patients : l’Institut Philippe-Pinel. « Il y avait une volonté de combiner la criminologie, la psychiatrie, les soins infirmiers, la psychologie, la psychoéducation », explique Anne Crocker, professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et directrice de la recherche et de l’enseignement à l’Institut Philippe-Pinel. Nous pourrions également tester les outils d’évaluation des risques dont nous disposions : sont-ils utiles pour les employés, prédisent-ils vraiment les comportements futurs ? » Bruno Cormier mérite également une attention particulière, selon Mme Crocker, car ce pionnier en la matière a cofondé la première clinique de psychiatrie légale du pays à l’Université McGill en 1955. « C’était un homme très engagé, que ce soit sur le plan politique, artistique, scientifique et psychiatrique. niveau », ajoute le professeur. La criminologue Marie-Andrée Bertrand est aussi une figure incontournable, par son approche sociale et humaine. Ce pionnier du mouvement anti-prohibition a promu des idées avant-gardistes sur la dépénalisation et les alternatives à la criminalisation. Marie-Andrée Bertrand est aussi la première Québécoise et la première femme à obtenir un doctorat en criminologie de l’Université de Californie à Berkeley en 1967.
L’évaluation des risques
Alors que la recherche en psychiatrie légale se développe au Canada et ailleurs dans le monde, dans les années 1970, Sheilagh Hodgins travaille déjà sur les problématiques des troubles mentaux graves et de la criminalité. « La science était en train de démontrer le risque accru et le type de patients qui pouvaient devenir potentiellement violents, c’était une énorme période d’apprentissage », a témoigné le professeur au Département de psychiatrie et toxicomanie de l’Université de Montréal et chercheur à l’Université de Montréal. Philippe. -Institut Pinel. Sheilagh Hodgins s’est particulièrement intéressée à un sous-groupe, celui des hommes atteints de schizophrénie qui souffrent de problèmes de comportement depuis l’enfance. Il a montré qu’ils étaient plus à risque de commettre des crimes et des agressions physiques à l’âge adulte. “A cette époque, les traitements antipsychotiques commençaient, mais ils étaient encore mal compris et il n’y avait pas assez de connaissances sur les méthodes de réhabilitation dans la communauté, qui se sont finalement avérées être la clé de la prévention des crimes”, a-t-il déclaré. Désormais, on constate que les personnes souffrant de troubles mentaux graves ont besoin d’un encadrement et d’un accompagnement spécifique pour s’assurer qu’elles ne consomment pas de drogues et peuvent les aider à régler les conflits sans recours à la violence. D’où l’importance des hôpitaux de psychiatrie légale comme Philippe-Pinel, selon le chercheur. “Les meilleurs traitements sont donnés dans ce genre d’hôpital, parce qu’on peut garder le patient longtemps, un an ou deux, pour appliquer une approche multidimensionnelle”, poursuit-il. Nous pouvons ajuster la médication, offrir des programmes de réadaptation professionnelle et de réinsertion dans la société. » Des études comparatives montrent que les hommes souffrant de troubles schizophréniques présentent moins de symptômes et sont moins enclins à recourir à la violence lorsqu’ils sont traités dans les hôpitaux de psychiatrie légale que dans les services de psychiatrie générale.
Entre connaissance et action
Bien que des progrès significatifs aient été réalisés dans cette industrie, il reste encore beaucoup à faire, selon Sheilagh Hodgins. “Il y a un grand écart entre ce que nous savons et ce que nous faisons, c’est-à-dire entre les connaissances issues de la recherche scientifique et la pratique clinique”, dit-il. Nous pourrions prévenir beaucoup plus de crimes si nous disposions des ressources en personnel et des fonds nécessaires pour établir des services et des essais cliniques adéquats. » La prévention est en effet un projet de société à grande échelle impliquant tous les secteurs et niveaux de gouvernement. « Maintenant que nous savons qu’il existe de nombreux déterminants psychosociaux associés à la maladie et aux comportements criminels et violents, que pouvons-nous mettre en place en tant que société, quel environnement pouvons-nous créer pour les prévenir ? demande Ann Crocker. Si la réinsertion — plutôt que l’incarcération — est la seule voie possible vers la sécurité publique, selon le professeur, cette question devrait prendre de l’ampleur dans les débats publics au cours des prochaines années.