Alicia, comment va ta vie aujourd’hui après le terrible accident de car scolaire qui t’a ramenée à Saint-Féliu-d’Avall ? J’ai 17, 18 en octobre. J’ai étudié dans une classe préparatoire en optique, je fais cet apprentissage à Perpignan pour devenir opticien. J’aime le travail, c’est technique, le contact avec les clients, les gens, c’est ça que j’aime. Comment abordez-vous cette épreuve ? Je suis un peu dans le noir, j’attends de me rattraper et de voir comment ça se passe. Et puis je pense que nous sommes assez préparés comme ça. On a eu quatre ans et demi pour le faire, c’est beaucoup, ce n’est pas la veille qu’il faut se réveiller.
A lire aussi : Drame de Milla : Marseille prépare un procès “hors du commun”.
Avez-vous peur de ce public ? Non. Quatre ans et demi c’est long, au contraire j’ai hâte. Elle a sa version, j’ai la mienne, d’autres en ont une autre, on verra le jour du jugement Allez-vous témoigner devant le tribunal ? Oui, je veux parler et je verrai ce que je dirai à ce moment-là. Parce que je veux, Madame Oliveira, qu’il voie le mal qu’il a fait. Puis elle a sa version, j’ai la mienne, d’autres en ont une autre. A chacun le sien et on verra le jour du jugement. Es-tu en colère contre elle ? Je ne sais pas qui blâmer, mais, oui, je la blâme. Je blâme les responsables. Ils ont pris ma vie. J’ai perdu mon enfance, mon adolescence, j’ai perdu des amis, j’ai perdu ma maison, j’ai tout perdu. Et plus important encore, j’ai perdu une jambe. J’étais coupé du monde, mes camarades de classe étaient tous à Perpignan et j’ai été hospitalisé à Montpellier, j’y suis resté quatre mois et j’ai arrêté l’école pendant presque un an. Les autres ont tous grandi donc on perd des amitiés. Qu’attendez-vous du procès ? J’attends juste que quelqu’un me dise que nous sommes une victime et que quelqu’un est à blâmer. J’attends aussi de lui qu’il exprime des remords, des excuses, du pardon. Es-tu prêt à lui pardonner ? Non. Ça m’a enlevé une jambe, ça m’a tout enlevé, donc non. Non. J’ai tout vu arriver, tout Vous souvenez-vous de l’accident ? De tous. Comme si c’était hier. J’ai tous les moindres détails, tous. Je suis parti à 16h, j’ai pris le bus et puis l’accident s’est produit. J’étais assis à l’avant du bus en train de regarder la route et il était temps. J’ai tout vu arriver, tout. Là où j’étais, juste en face, il faut avoir une vue sur tout.
À lire aussi : Procès du drame de Millas : la conductrice de bus scolaire Nadine Oliveira entre déni et catastrophe
Comment avez-vous réussi à le surmonter ? Ma solution était de parler et ensuite de vivre. Et j’étais bien entouré par ma famille. Le cauchemar vous hante toujours ? Je ne dirai pas que je le revis tout le temps, mais dès que les journaux et la télé en parlent, ça revient. Où puises-tu cet admirable courage ? Dans mon personnage. Je pense que j’ai toujours été fort. Même si je ne suis plus le même qu’avant. Avant, j’étais encore un petit bébé, j’avais 13 ans. J’ai beaucoup changé. Au moment de l’accident, j’ai mûri et je suis devenu adulte un peu trop vite. Je n’ai eu ni enfance ni adolescence. Ils m’ont fait changer de vie du jour au lendemain, en trois minutes. Quel a été l’impact du drame sur votre vie ? J’ai perdu ma jambe, nous avons dû déménager car il ne m’était plus possible de monter les escaliers, je ne pouvais plus marcher et me déplacer dans ma maison. C’était le plus compliqué. Et puis il y a tous les regards des autres, toutes les questions.
A lire aussi : Drame de Millas : comment regarder le procès depuis Perpignan ?
Quels sont vos plans ? Finir mes quatre années d’études, passer mon permis de conduire et avoir ma maison, mon appartement près de moi. Je prends un vol. Pour avoir mon indépendance. Je ne sais pas si ça va m’aider, mais ça me fera du bien de quitter le département et de recommencer ailleurs. Et arrête de me reconnaître. C’est lourd. Chaque petit endroit où je vais, même quand personne ne sait qui je suis, ils disent : “C’est toi qui étais dans l’accident de Milas, n’est-ce pas ?” Je suis le seul à qui il manque une jambe, il n’y a pas six mille infirmes comme moi à Perpignan. Après l’accident, on m’a dit que je n’avais plus ma place dans la danse, que je gâchais le spectacle Avez-vous pris le temps d’accepter votre handicap ? Au début, c’était plus compliqué parce que je ne comprenais pas pourquoi c’était moi qui l’avais fait. Pourquoi moi, pourquoi, pourquoi ? Je reconstruisais le monde avec les si. Aujourd’hui c’est comme ça, il faut passer à autre chose, s’en remettre, je n’ai pas le choix. Je dois évoluer, avancer. Avez-vous de nouveaux hobbies, passions ? Ma famille, ma marraine. J’ai nagé, j’ai dansé. Mais après le crash, j’ai voulu continuer à danser au collège de Millas et j’ai fait un gala à Ille-sur-Têt où j’ai été critiqué. Ils ont dit que je n’étais pas à ma place, que je gâchais le spectacle. Cela m’a beaucoup touché. Aujourd’hui, ces mêmes personnes viennent me parler comme si de rien n’était. Je ne leur réponds même pas.
À lire aussi : Procès du dramatique Millas : deux chiens à l’audience pour soutenir les victimes
En quatre ans, avez-vous enfin réussi à vous reconstruire ? Spontanément, je ne répète pas, je préfère passer à autre chose. Je n’ai qu’une vie, je dois en profiter. Parce qu’étant donné ce qui s’est passé, ma vie a déjà été écourtée une fois, je veux vivre pleinement maintenant. Je sais que la vie est importante et ne tient qu’à un fil. Je me suis fait de nouveaux amis qui ne sont pas du passé. J’essaie de faire table rase pour commencer une nouvelle vie, une nouvelle Alicia. Je ne veux pas être Alicia de l’accident de Millas, je veux être une personne à part entière, je veux être moi-même. Je suis né il y a treize ans, je suis une victime aussi, mais c’est plus que ça. Je reste. La jeune Alicia et son avocate, Me Hélène Castello-Picard. Nicolas Parent – Nicolas Parent
Me Hélène Castello-Picard : “C’est une jeune fille avec un immense courage”
Hélène Castello-Picard, du Barreau de Perpignan, est l’avocate d’Alicia. elle est très admirée de ses parents et de son jeune frère Lucas, qui a 12 ans. Alicia est brillante, brillante. Pour elle, nous avons demandé l’aide du chien de justice Hushi, un labrador. Alicia m’a dit qu’elle lui ferait confiance, qu’elle la rassurerait.” Une véritable amitié est née entre eux, et Me Castello-Picard l’aidera bien sûr même dans cette épreuve, épreuve.