Posté à 5h00
Denis Lessard La Presse
Il s’agissait alors d’arrêter une hémorragie. Montréal était déjà la porte d’entrée, le passage obligé vers le pays en tant qu’aéroport international. En 1997, avec ses deux aéroports, Montréal était tombée au quatrième rang, derrière Toronto, Vancouver et même Calgary. En 2019, les choses avaient peu changé. Toronto compte 50 millions de passagers par an, Vancouver 26. Montréal, à 20 millions, devance légèrement Calgary à 18 millions. Cette baisse s’explique facilement, observent encore aujourd’hui les experts. Annoncé en 1969, l’aéroport de Mirabel est devenu opérationnel en 1975, à temps pour les Olympiques. Nous voulions être rapides. Au départ, on prévoyait un raccordement autoroutier direct, avec le prolongement de la 13, on voulait terminer le 50 qui arrivait de l’Outaouais, on prévoyait même un raccordement ferroviaire — le sous-sol du terminal comprend une gare qui n’a jamais été utilisée. Six terminaux étaient prévus, mais un seul sera construit. Le bâtiment, abandonné depuis 2004 et plein d’amiante, finira par devenir un sérieux problème. L’aéroport de Mirabel est situé à 55 kilomètres du centre-ville de Montréal, une distance désormais normale pour les nouveaux aéroports du monde. « Ailleurs, c’est un avantage d’être loin, mais les installations sont connectées aux réseaux de transport. Si on avait fait ça pour Mirabel, on aurait aujourd’hui un aéroport pleinement opérationnel », observe Jacques Roy, professeur spécialisé en gestion des transports à HEC Montréal. Celui qui était l’expert retenu par le groupe qui, en 1997, voulait empêcher le transfert des vols. Ses recherches l’avaient amené à rencontrer tous les transporteurs de l’époque. “Tout le monde me disait : ‘Si tu dois choisir un aéroport, choisis Mirabel’”, se souvient M. Roy. Des années plus tard, Denver, au Colorado, aurait eu une discussion similaire sur l’organisation du transport aérien. Les responsables ont décidé de ne garder qu’un seul aéroport en disant : « Souvenez-vous de Montréal ! Cela avait clos le débat sur un système bicéphale, souligne M. Roy. Aujourd’hui, l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto est de loin l’aéroport dominant au Canada, mais il était autrefois très proche. Nous avions envisagé un aéroport international à Pickering, un projet abandonné. Avec deux terminaux déportés, les connexions seraient vite devenues le même casse-tête qu’ici. Ainsi, la décision de conserver l’aéroport de Dorval, aujourd’hui Pierre-Elliott-Trudeau, après un emploi de 2,4 milliards de dollars deviendrait éventuellement la maladie mortelle de Mirabel. Un dernier recours, puisque « YUL », la Méditerranée, sera sévèrement limitée dans son développement. « Dans une trentaine d’années », estime aujourd’hui John Gradek qui, au moment de la construction, était attaché politique du ministre responsable de la région d’Argenteuil–Deux-Montagnes, Francis Fox. Si tout le trafic avait alors été transféré à Mirabel, les installations seraient encore en activité aujourd’hui. Mais la “politique”, les tensions entre Ottawa et Québec, auraient scellé le sort de l’aéroport, observe M. Gradek, qui a fait carrière chez Air Canada. « Aéroports de Montréal [ADM] a une vision de 10 ans. Il faut prévoir 30 voire 50 ans. » Il y a 25 ans, les compagnies aériennes — Air Canada en tête, suivie de Canadien International et d’Alitalia — ont poussé fort pour rapatrier toutes leurs opérations à Dorval. Lufthansa a ouvert le bal en 1995 en partant pour Toronto. Pour Air Canada, la proximité du centre de maintenance était cruciale. qui a ensuite été privatisée, Aveos est maintenant fermée. Dans son plan, Ottawa prévoyait de ne maintenir à Dorval que des liaisons vers Québec, Ottawa et Toronto. Cela a été fait pour saper la détermination de la coalition dirigée par la Chambre de commerce, l’industrie touristique et les hôteliers, qui s’opposent fermement à cette réduction du trafic à Dorval. PHOTO DE FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE L’aéroport de Mirabel est maintenant utilisé pour le transport de marchandises. Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile à l’ESG UQAM, estime que c’est la décision d’envoyer des vols internationaux vers Mirabel qui « a entraîné des coûts importants pour Montréal ». « Ensuite, nous avons perdu notre destination de connexion. Montréal était une porte d’entrée pour les voyageurs d’Europe et même d’Amérique du Sud. En maintenant deux aéroports, nous avons fortement fragilisé notre position avec cette obligation de liaison. Retourner à Dorval ne l’a pas ramené à l’état antérieur, mais cela a permis de réduire les saignements. on a arrêté de reculer », observe l’expert. Depuis l’annonce du projet en mars 1969, Mirabel a volé de polémique en polémique. Premier piège, le gouvernement de Pierre Trudeau a forcé l’expropriation de 3 900 familles – 33 000 hectares, presque la superficie de l’île de Montréal. Soit dit en passant, les meilleures terres agricoles du Québec. Les deux tiers des personnes expropriées ont reçu une compensation financière du gouvernement fédéral. Mais pour 1 200 familles expulsées de leurs fermes, la lutte dure jusqu’en 1985, lorsque le gouvernement Mulroney décide de restituer 27 000 hectares. Seuls 5% de la surface expropriée seront finalement nécessaires à l’aéroport. A l’époque du Concorde, les concepteurs pensaient que les avions supersoniques seraient les avions du futur. nous avions besoin de très longues pistes… et de beaucoup d’espace autour d’elles. Aujourd’hui, une seule des deux pièces est utilisée. Mais le poteau “YMX” est utilisé pour transporter des marchandises pour FedEx et UPS, notamment. Airbus et Pratt & Whitney y ont des installations, 4.800 emplois directs sont liés aux activités aéronautiques, pointe Anne-Sophie Hamel, porte-parole d’ADM. Anecdotes : Les voitures de F1 passent par Mirabel et l’énorme Antonov ukrainien (récemment détruit pendant la guerre) a utilisé cette piste, la deuxième plus longue du pays, pour livrer des équipements de protection contre le COVID-19. PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE Avion Antonov An-225 atterrissant à Mirabel en mai 2020 pour livrer des équipements de protection contre la COVID-19 Choisir Mirabel comme emplacement était une première erreur. Le gouvernement fédéral a privilégié la région de Vaudreuil-Soulanges, qui était beaucoup mieux équipée en transport terrestre, un avantage évident avec le plus récent agrandissement de l’autoroute 30. Un autre scénario proposé par Québec visait Drummondville, entre la capitale et Montréal, un endroit qui avait la inconvénient d’être souvent dans le brouillard. Mirabel était un compromis. l’économiste Benjamin Higgins, de l’Université McGill, avait souligné dans une étude l’impact positif pour le développement économique des Laurentides. Nous pensions aussi pouvoir drainer les voyageurs internationaux d’Ottawa. Mais l’autoroute 50 n’est toujours pas terminée, 50 ans plus tard. Rétrospectivement, le projet de Mirabel semble excessivement cher. Lors de l’ouverture, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a évoqué les millions de passagers en transit : 14 millions de voyageurs en 1985, pas moins de 60 millions en 2025. “Ils avaient mis des points sur une courbe et tracé une ligne à l’infini”, plaisante Jacques Roy aujourd’hui. La réalité est dure, Mirabel n’aura jamais reçu plus de 3 millions de passagers par année. L’ouverture n’augurait rien de bon, exactement. Pierre Elliott Trudeau, Jean Marchand, responsable des transports, et Jean Drapeau, maire de Montréal, ont longtemps été bloqués sur l’un des “ferries”, ces wagons-ascenseurs… qui n’avaient d’équivalent nulle part ailleurs dans le monde. .